Technologies partout, démocratie nulle part
Plaidoyer pour que les choix technologiques deviennent l’affaire de tous

Technologies partout, démocratie nulle part

Yaël Benayoun Irénée Régnauld
FYP Editions 2020

Le livre fait le constat que de plus en plus, les grands choix technologiques ne sont pas discutables et sont pris par des instances non-démocratiques. Nous sommes face à une alliance parfois contre-nature entre des géants privés de la technologie et des organisations publiques, élues démocratiquement, mais qui valident les technologies sans donner la possibilité à la population de se positionner.

Souvent, pour faire passer la pilule, on arrondit les angles ou on verdit l’emballage, mais la décision de diffuser telle ou telle technologie, est en fait déjà prise. On peut penser à la 5G, à l’e-administration, à la voiture autonome, ou à l’intelligence artificielle. Ce qui me permet de faire le lien avec le premier livre ci-dessus. La nécessaire déclaration de Montréal ne remet pas en cause le développement de l’intelligence artificielle, elle l’encadre pour qu’elle se développe de manière responsable. Mais personne n’a la possibilité de simplement s’opposer à un développement de l’intelligence artificielle quel qu’il soit.

Les auteurs commencent par un historique des technologies. Ils observent notamment un glissement sémantique entre le progrès, la technologie et finalement l’innovation. Auparavant, on pouvait imaginer différentes sortes de progrès, sanitaires, politiques, sociaux, humains et technologiques. Mais les autres facettes du progrès se sont petit à petit estompées. Il semble ainsi que la seule innovation qui vaille la peine, c’est forcément une innovation technologique, donc quelque chose de nouveau et reposant très souvent sur du numérique. On parle bien de la numérisation de la société, comme s’il n’y avait pas d’autres planches de salut.

D’une part, ce n’est pas la seule piste existante, et d’autre part, on doit s’interroger sur la durabilité d’une telle option. Il faut rappeler que le numérique consomme des quantités astronomiques de ressources naturelles et d’énergie, avec un taux de recyclage extrêmement faible. Mais le plus inquiétant est que la question du besoin n’est même pas évoquée. Par le fait qu’une technologie est possible, il faut la développer, même si ses bénéfices (environnementaux, sociaux) sont bien inférieurs aux problèmes qu’elle génère.

Les auteurs expliquent notamment pourquoi toute opposition à l’avènement de cette société numérique est rendue impossible. Ils évoquent notamment plusieurs idées reçues (donc fausses) :

  • La technologie est neutre (il y a toujours une intention).
  • On n’arrête pas le progrès (de peur de manquer quelque chose).
  • Il faut rattraper notre retard (vis-à-vis des autres qui seraient en avance sur nous).
  • Il n’y a que deux positions possibles : les technophiles et les technophobes (vision binaire des avis de chacun·e).

Cet excellent livre parle de problématiques complexes, mais les aborde de manière tout à fait compréhensible, en se basant sur des études scientifiques concrètes et pertinentes. Il entre sans aucun problème dans le peloton de tête des meilleures livres que j’ai lus ces dernières années sur la critique de la technologie.

« L’urgence climatique, l’uberisation, l’économie des petits boulots, les smart cities et la surveillance algorithmique nous ont brutalement fait prendre conscience des répercussions dramatiques des technologies.
Alors que le progrès était censé servir le bien commun, il nous échappe.
Nous le subissons. Malgré cela la réponse apportée à tous les problèmes économiques et sociaux se borne à des solutions purement techniques.
Irénée Régnauld et Yaël Benayoun révèlent et dénoncent les dogmes et les manœuvres qui permettent aux industries et aux pouvoirs publics de maintenir les citoyens et les travailleurs à l’écart des choix technologiques, en excluant tout processus démocratique. Ils montrent que notre arsenal juridique et nos institutions apeurées, voire serviles, sont incapables de contrer les servitudes imposées par les plateformes et les industries hyper capitalistes.
Pour sortir de cette confiscation du progrès, les auteurs proposent des actions concrètes et réalistes qui replacent le débat démocratique et les revendications citoyennes au cœur du développement technologique, afin que la question du progrès devienne l’affaire de tous. »

(Avec une bibliographie importante)