Raréfaction des ressources naturelles : la face cachée du numérique

Ce n’est plus un scoop de dire que le numérique a un impact majeur sur l’environnement. Cette industrie commercialise des quantités astronomiques d’appareils séduisants à l’apparence propre, presque hygiéniques, mais l’envers du décor, sous le niveau de flottaison pour prendre l’image de l’iceberg, est bien plus préoccupant.

L’industrie du numérique a ainsi besoin de beaucoup d’énergie, en majorité d’origine fossile, de ressources naturelles, en particulier des métaux, ceux du tableau périodique des éléments, d’eau, de produits chimiques et rejette dans l’environnement toute une série de polluants, plus ou moins persistants.

La partie extractiviste de cette industrie a été analysée scientifiquement et décrite par Aurore Stéphan, ingénieure géologue minier, spécialiste des impacts environnementaux des systèmes d’extractions de matière, et cofondatrice de l’association SystExt.

Aurore Stéphan a notamment été invitée à donner une conférence, organisée par l’Unil dans le cadre du programme « Moins c’est mieux » , le 26 septembre 2023. Nous vous conseillons vivement son visionnage. La vidéo de la conférence a été récupérée sur notre hébergement Peertube.

Elle rappelle notamment que notre modèle de développement, repose essentiellement sur la matérialité. On consomme des biens manufacturés qui ont nécessité une extraction massive de matière du sol, des processus de transformation gourmands en énergie et qui terminent bien souvent leur vie à la décharge. En effet, si le recyclage est très important, il reste hélas marginal pour soulager réellement le système.

Aurore Stéphan fait ressortir que ce modèle de développement n’est tout simplement pas durable ni même envisageable à moyen terme. Et elle utilise les mathématiques pour le démontrer.

Le numérique croît en moyenne de 8% par an environ, tout comme ses impacts environnementaux. On pourrait se dire que ce chiffre n’est finalement pas si élevé. Mais en fait, il s’agit d’une progression exponentielle. Un volume qui augment de 8% par an, sera ainsi doublé en 9 ans, triplé en 14 ans. En 2054, soit dans 30 ans, si le taux est toujours de 8% par an, nous aurons multiplié par un facteur de 10 le numérique dans notre société. Autant dire que quand on est face à une progression exponentielle, on risque de perdre le contrôle.

De plus, ce taux de 8%, qui a tendance à augmenter lui aussi, ne prend pas en compte les plans de transition énergétiques, c’est-à-dire les besoins requis pour passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables et à l’électromobilité, deux domaines très gourmands en métaux, et notamment en métaux critiques.

Comme on l’a évoqué plus haut, on peut ajouter que les taux de recyclage matière sont extrêmement faibles. Plusieurs métaux critiques sont recyclables à moins de 1%, c’est-à-dire rien du tout. A la fin du cycle de vie du produit, ces éléments sont tout simplement perdus.

Sa connaissance du domaine l’amène à promouvoir, non pas uniquement la sobriété numérique, mais la dénumérisation de la société. Il ne s’agit pas là de renoncer à toute technologie numérique, mais bien à retirer tous les usages non-essentiels (voir à ce sujet dans la vidéo, de 1h12 à 1h17).

Aurore Stéphan n’est pas la seule à alerter sur ces questions de raréfaction des ressources naturelles. Philippe Bihouix, ingénieur français, est un spécialiste des ressources minérales et promoteur des low-tech. Il donnait justement une conférence au Club 44 de La Chaux-de-Fonds, le 20 mars dernier.

La conférence de Philippe Bihouix a fait salle comble. Mais ce qui était le plus réjouissant, c’est qu’il a été invité en collaboration avec le lycée Blaise-Cendrars, pour pouvoir échanger avec les jeunes lycéens. Ce sont eux finalement les futures personnes actives de la société de demain.

La Codha, membre d’itopie, nous a demandé récemment d’organiser une conférence sur le sujet du numérique et des questions que cela suscite vis-à-vis de l’environnement, de la santé et de nos libertés individuelles. Cette conférence a eu lieu le 29 février dernier à l’ESPACE d’APRES (tiers lieu d’Après Genève). Nous nous sommes bien sûr inspirés de la conférence d’Aurore Stéphan, mais également de nos lectures personnelles présentées sur ce site web.